L'homme - La République des amateurs - Un précieux témoin - La photographie au service de la science - Une redécouverte récente et méritée - De père en fils - Chronologie
L'Homme
L'horloger toulousain capture des instants de vie, des moments de grâce saisis à la volée avec une surprenante spontanéité : deux charettes se croisant sur la corniche de Monaco sous le regard étonné d'un passant aux allures de vagabond, un charmeur d'oiseaux surpris dans le jardin des Tuileries à Paris , des baigneurs s'aventurant dans les vagues à Biarritz, des visages, des paysages, des émotions...
Georges Ancely est en réalité bien plus qu'un amateur éclairé. La démarche scientifique est omniprésente dans son oeuvre, aussi bien dans les techniques utilisées, la maîtrise de l'art photographique, la qualité des prises de vue que dans le choix des sujets. Portrait d'un photographe pas comme les autres, trop longtemps oublié, qui réalisera entre 1867 et 1906 près de 3000 clichés précieusement conservés et inventoriés avec une précision d'horloger.
1867. Georges Ancely n'a que vingt ans lorsqu'il réalise sa première photographie. Le père, horloger à Toulouse, prend la pose devant son fils qui s'apprête à reprendre le magasin familial, rue de la Pomme, à deux pas du Capitole. Une passion dévorante naît ce jour là. Ses premiers clichés sont des portraits de famille. En 1870, il réalise un auto-portrait : vêtu d'un uniforme militaire, il est sur le point de partir rejoindre les troupes françaises repliées dans la ville de Belfort, assiégée par l'armée prussienne. Cette expérience sera décisive. Elle lui donnera le goût de vivre, pleinement. À l'issue de la guerre, de retour à Toulouse avec les honneurs militaires, Georges Ancely décide de croquer la vie à pleine dents. L'existence est trop courte pour perdre son temps. L'horloger veut profiter de chaque secondes qui lui restent. Il reprend l'affaire familiale, rue de la Pomme, se marie en 1875 avec Marie-Louise Ricous, achète en 1878 un château sur le site de l’ancien castel de Saint-Michel-du-Touch, et se lance surtout à corps perdu dans la photographie. À l'affût des dernières évolutions technologiques, et à l'abri du besoin, Georges Ancely n'hésite pas à acheter ce qu'il y a de mieux pour l'époque : le négatif sur plaque de verre au gélatino-bromure d’argent, un procédé révolutionnaire inventé en 1871 par le physicien anglais Richard Leach Maddox.
Le bourgeois toulousain ne se contente pas de photographier sa famille ou ses proches. Commerçant prospère et reconnu dans son domaine, l'horlogerie, Georges Ancely côtoie les grandes familles toulousaines de l'époque, qu'il s'amuse à surprendre au gré d'un dîner ou d'une sortie endimanchée sur les bords du canal du Midi. Il prend plaisir à observer ses congénères, c'est certain, mais il comprend aussi la puissance de ce nouveau média et choisit très tôt d'utiliser la photographie comme support de découverte et de partage des connaissances. La troisième exposition universelle de Paris a lieu du 1er mai au 31 octobre 1878 au pied de la Tour Eiffel. Le Champ de Mars sera son premier champ d'expérimentation. Muni d'un matériel photographique pesant près de 100 kilos, Georges Ancely se rend à Paris avec l'idée de témoigner. Sa série de clichés a des allures de reportage photographique destiné à ses amis de Haute-Garonne.
La République des amateurs
Amateur éclairé ? Photographe professionnel ? Reporter ? Georges Ancely est difficile à classer. « Il serait réducteur de voir dans les travaux de Georges Ancely le simple divertissement d’un bourgeois oisif, par comparaison à ses compatriotes et contemporains Eugène Trutat, photographe scientifique, ou Joseph Provost, photographe professionnel, analyse Claire Dalzin, responsable du cabinet des estampes et photographies du musée Paul-Dupuy à Toulouse. Ce qui unit ces hommes, c’est leur passion pour la photographie, à une époque où cet art naissant, aux techniques multiples et sans cesse renouvelées, révolutionne les modes de représentation. » De fait, Georges Ancely s'inscrit dans un plus vaste mouvement que l'on qualifiera plus tard de République des amateurs. Claire Dalzin poursuit : « Avant le déferlement de la reproduction en série et de son iconographie standardisée, ces pionniers ordinaires vont donner à voir une représentation personnelle du monde dans lequel ils évoluent, sans s’enfermer dans des genres que la postérité leur attribuera un siècle plus tard. Cette liberté d’expression s’illustre, chez Georges Ancely, par des scènes contrastées, tant dans le domaine thématique que dans le domaine technique : ainsi découvre-t-on ses élégants amis posant dans son salon de la rue Boulbonne, et, à l’opposé, cette image, comme shootée à la volée, d’une petite bohémienne en haillons mendiant devant le café Albrighi ; ainsi, avec une rigueur toute scientifique, place-t-il sa chambre à l’entrée de la rue Gambetta pour une série de clichés d’expérience, capturant sur le vif piétons et variations lumineuses, et par ailleurs nous livre-t-il, au pont d’Espagne, une composition étudiée qui doit beaucoup aux premiers dessinateurs pyrénéistes. »
Garance Chabert, Julie Jones et Carole Troufléau-Sandrin, commissaires de l’exposition La République des amateurs, présentée en 2011 dans la salle du Jeu de Paume à Paris, donnent ensemble une définition qui décrit assez bien l'état d'esprit de Georges Ancely, jusque dans la technique utilisée : « La pratique amateur se développe à la fin des années 1880 avec l’introduction sur le marché des plaques de verre au gélatino-bromure d’argent prêtes à l’emploi. Elle s’organise alors autour d’associations qui donnent à leurs membres l’opportunité de se réunir pour échanger et comparer leurs travaux, et de publier leurs résultats dans des revues spécialisées. » Précurseur, Georges Ancely est en effet membre de la Société photographique de Toulouse dès 1875. Il aime plus que tout partager ses connaissances, échanger, expérimenter et croiser ses travaux de recherche photographique avec d'autres amateurs ou professionnels de cet art balbutiant qu'est encore la photographie.
Un précieux témoin de la fin du XIXe siècle
D'une certaine manière, son oeuvre se rapproche de celle de Louis Vert (1865-1924), le projectionniste attitré des événements parisiens. Ce dernier pratique la photographie en dilettante, mais avec une approche et une maîtrise technique telles que ses images ne sont pas sans susciter l’intérêt de ses contemporains. « En se focalisant sur les marchands ambulants, les nettoyeurs de rue et les clochards, expliquent ainsi les commissaires de l’exposition La République des amateurs, Louis Vert s’inscrit dans une vieille tradition iconographique du sujet pittoresque. » Les prises de vue de Louis Vert font écho à certaines photos de Georges Ancely, comme celle du marché d'Audierne en Bretagne . « Georges Ancely tient une place importante dans l'histoire de la photographie toulousaine, ajoute Claire Dalzin. Amateur éclairé, il décrit de façon précise et souvent pittoresque la vie quotidienne des Toulousains de la fin du XIXe siècle. »
Pour le photographe Jean Dieuzaide, les plaques signées Georges Ancely « sont le fait d'un homme méticuleux, photographiant pour le plaisir et avec beaucoup d'à-propos afin de témoigner de l'aspect parfois artificiel de l'époque 1900. » En 1971, Robert Mesuret, le conservateur du musée Paul-Dupuy aura d'ailleurs ces mots pleins d'emphase au sujet des clichés de Georges Ancely : « C'est le Toulouse d'autrefois, celui de nos grands-pères qui revit dans ces excellentes photographies, avec ses costumes, ses voitures, ses chevaux, ses pavés, ses becs de gaz, ses métiers, ses crieurs, ses cireurs de bottes, ses stations où attendent les voitures de place : les coupés et les victorias dont l'odeur de cheval nous rappellerait notre enfance. »
La photographie au service de la vulgarisation scientifique
Plusieurs rencontres vont compter et donner une dimension supplémentaire au travail de Georges Ancely. Son univers est éclectique. L'horloger photographe compte parmi ses amis des figures scientifiques de premier plan, dont le paléontologue Félix Régnault et le célèbre photographe Eugène Trutat, qui deviendra plus tard conservateur du Muséum d’Histoire naturelle. Ils évoluent au sein des mêmes sociétés savantes de l'époque : la société photographique, bien sûr, mais aussi la société de géographie, la société d’histoire naturelle et la société archéologique de Toulouse. Eugène Trutat est une personnalité emblématique. Il est l'un des premiers vulgarisateurs de la lanterne à projections, appelée aussi lanterne magique, et des conférences illustrées. Il inaugura les projections à la lumière oxhydrique et, grâce à son initiative, la société de géographie de Toulouse pris en France la tête du mouvement de vulgarisation par l'image. Il eut sans aucun doute une influence décisive sur Georges Ancely dont il deviendra l'ami, le compagnon, le complice et d'une certaine façon le mentor.
Pour Georges Ancely, Eugène Trutat et leurs amis, la photographie est bien plus qu'un art ou un passe-temps. Elle est un outil précieux au service de la culture. Ils entendent mettre la photographie au service du savoir, du partage des connaissances. Leurs clichés sont pour la plupart destinés à illustrer des livres, des revues, à servir de support de gravures, à être projetées lors de conférences, à informer leurs congénères. Ils veulent témoigner de l'évolution de la société, de l'évolution des moeurs. La qualité du cadrage, la notion de profondeur et de perspectives sont à ce titre essentielles pour capter l’attention du regard. À leurs côtés, Georges Ancely explore ainsi les Pyrénées, assiste à la construction de l'Observatoire du Midi, à la naissance du tourisme et des stations balnéaires, participe à plusieurs expositions universelles, se rend à Londres ... Ainsi Georges Ancely emportera-t-il avec lui, durant près de trente ans, son matériel photographique dans chacun de ses déplacements, de ses excursions pyrénéennes, de ses voyages en France, en Europe ou en Afrique, des missions scientifiques auxquelles il participe. Son travail se situe souvent à mi-chemin entre la science et le reportage. Le 5 février 1906, Eugène Trutat donne une conférence à Monaco, avec projections à la lumière électrique. « Je fus l'un des précurseurs du tourisme, dit-il en guise d'introduction, notamment de ce tourisme agréable qui consiste à passer en revue les merveilles de la nature et de l'art des pays les plus divers sur une toile de projection. » Des propos qui décrivent également la démarche si singulière de Georges Ancely.
Une redécouverte récente et méritée
L'une des autres caractéristiques majeures de son oeuvre tient également dans la qualité de son archivage. Avec une précision d'horloger, de géographe, Georges Ancely prend toute sa vie durant le temps de ranger, titrer et inventorier avec le plus grand soin chacune de ses plaques de verre. Un travail précieux qui permit à ses photos de traverser le siècle dans de bonnes conditions.
Après sa mort en 1919, son importante collection fut scindée en trois parties. La première, près 2000 photos comprenant des portraits, autoportraits et des clichés de voyages, resta dans la famille. La deuxième, composée de 1700 clichés de projection, fut offerte par son fils pour enrichir les collections d'Histoire de l'Art de la Faculté de Lettres de Toulouse. « Au cours de nombreux voyages en France et à l'étranger, particulièrement en Italie, Espagne et en Belgique, Monsieur Georges Ancely avait pris des séries considérables de clichés, surtout des vues de monuments d'art, et il avait exécuté lui-même, avec le plus grand soin, et en véritable artiste, des positifs pour projections qui constituent des matériaux tout à fait précieux dans l'enseignement de l'Histoire de l'Art. » écrit le professeur Graillot dans un courrier adressé au Recteur de l'Université le 3 juin 1919. La troisième, un millier de photos à vocation régionale, fut quant à elle confiée à la famille Privat par Georges Ancely pour certainement l'édition d'un livre et elle se retrouvera au musée Paul Dupuy de Toulouse en 1971 dans le cadre de la succession de la famille. Elle faillit disparaître à jamais, comme l'expliqua à l'époque Robert Mesuret, le conservateur du musée, dans un article paru dans la Dépêche du Midi : « Nous devons aussi remercier Mme Privat, la seule personne au monde qui ait pu identifier le photographe. » Sans les liens d'amitiés qui unissaient la famille Privat à la famille Ancely, les photos auraient sans doute sombré définitivement dans l'oubli.
Il faudra cependant attendre encore trente ans pour que les photographies de Georges Ancely soient de nouveaux présentées au public, à l'occasion d'une grande exposition organisée en 2011 par le musée Paul-Dupuy, intitulée « Georges Ancely, un photographe toulousain ». Une reconnaissance méritée qui signe enfin le retour au premier plan d'un photographe exceptionnel trop longtemps oublié. Il était temps de remettre les pendules à l'heure en faisant découvrir au public le travail précieux de Georges Ancely, sa contribution au développement de la photographie et son apport scientifique. L'année suivante, des photographies inédites issues des collections conservées par la famille sont pour la première fois présentées au Bellevue à Biarritz, puis à l'Hôtel du Palais... L'horloger photographe voulait suspendre le temps. Il a enfin réussi. Près de 1600 clichés restent à découvrir, autant de matière pour de futures expositions.
De père en fils...
Bercé depuis son plus jeune âge dans l'univers de la photo, le fils de Georges Ancely, René, a lui aussi réalisé de nombreux clichés. Juriste érudit, amateur d’art et collectionneur, René Ancely est comme son père passionné par les voyages et les expéditions pyrénéennes.
Une partie de sa collection de gravures pyrénéennes a été acquise en 1967 par la ville de Toulouse. Les estampes isolées ont trouvé leur place au Musée Paul Dupuy, tandis que les lithographies reliées en albums ont intégré le fonds de la Bibliothèque municipale. Ce fonds se caractérise par quelque 2000 gravures, reliées ou en pièces, en couleur ou en noir et blanc, dont un certain nombre ont été publiées dans des revues ou journaux locaux, et datant principalement de la période romantique. Il constitue une source d'information précieuse sur l'iconographie de Pyrénées, notamment dans le domaine des costumes, scènes pittoresques et paysages.
Chronologie : Georges Ancely (1847-1919)
31/05/1847 : Naissance de Georges Ancely à Toulouse.
1867 : Premier cliché enregistré sur son répertoire : portait de son père en buste.
1870 : Sous-Lieutenant des artilleurs mobiles, il défend Belfort assiégée pendant la guerre Franco-Prussienne.
18/02/1871 : Avec son unité, il sort de la citadelle avec les honneurs militaires. Il travaille ensuite avec son père dans le magasin rue de la Pomme, à Toulouse.
1875 : Mariage avec Marie-Louise Ricous qui lui donna deux enfants. Membre de la Société d’Histoire Naturelle de Toulouse auprès d’Emile Cartailhac, Eugène Trutat et Félix Regnault.
Membre fondateur de la Société photographique de Toulouse auprès d’Eugène Trutat, d’Emile Cartailhac, Charles Fabres. Il en sera trésorier et vice-président.
1877 : Début d’une passion qui l’amènera à photographier le monde qui l’entoure et à s’investir dans différents cercles : Société photographique de Toulouse, Société de Géographie, Société d’Histoire naturelle, Société archéologique, etc. Il développera également une passion pour l’exploration des Pyrénées.
1878 : Achat du Domaine de Saint-Michel du Touch (17 hectares) avec son château d’époque Restauration qui deviendra, dans les années 1960, le « quartier Ancely » suite à la construction de 850 logements HLM. Visite et reportage photos des pavillons de l’exposition universelle à Paris.
1879 : Premiers clichés dans les Pyrénées (Gavarnie, Pic du Midi).
1880 : Première visite de Biarritz lors des différentes excursions menées avec ses amis Eugène Trutat et Félix Régnault, paléontologue.
1881 : Voyage en Algérie avec Eugène Trutat (Alger, Oran et Constantine).
1882 : Membre fondateur de la Société de Géographie de Toulouse
1883 : Excursions à Biarritz, Banyuls et Collioure.
1886 : Retour à Biarritz avec un Comité de la Société de Géographie de Toulouse pour le congrès international d’hydrologie et de climatologie.
1888 : Voyage en Italie (Gênes, Florence, Rome, Naples, Venise, Milan, etc.).
1889 : Exposition universelle à Paris puis Londres.
1890 : Barcelone.
1891 : Biarritz, Cauterets et l’Ariège.
1892 : Georges Ancely se voit attribuer la Légion d'Honneur suite à ses faits d'armes en 1871 à Belfort.
1894 : Nîmes, Lyon, Genève, Berne, Belfort, Paris, Rouen, Le Havre, etc.
1895 : Najac, Bordeaux, Arcachon, Royan, Biarritz, Bayonne, Saint-Sébastien (Espagne), etc.
1898 : La Rochelle, Nantes, Rennes, Vannes, Quimper, Saint Malo, Mont Saint Michel, Morlaix, Guingamp, Belle Ile en Mer, etc.
1899 : Voyage en Espagne (Saragosse, Madrid, Tolède, Séville, Malaga, Grenade, Cordoue, les Baléares…) puis Grenoble, Annecy, Chamonix, Genève, Arcachon et Saint-Sébastien (Espagne).
1900 : Bayonne, l’Exposition universelle à Paris et Versailles.
1906 : Dernières photos dans son Domaine de Saint-Michel du Touch.
1919 : Mort à Toulouse à l’âge de 72 ans.